Las Chicas del Cable: féministe, oui mais...
- Méline E
- 28 févr. 2018
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 juil. 2019

Avant la déferlante La Casa de Papel sur Netflix, une autre production ibérique s'est immiscée dans le catalogue du géant américain. Las Chicas del Cable (Les demoiselles du téléphone, ndlr), déjà dotée de deux saisons, nous plonge dans le Madrid des années 20, à travers les vies et galères des employées de la Compagnie Nationale des Téléphones. La série -résolument féminine et féministe, rétro et actuelle- est malheureusement plombée par l'écueil du drama.
Après avoir été accusée d'un double homicide, Alba rejoint, sous une fausse identité, la Compagnie Nationale des Téléphones -lieu cultissime pour les cinéphiles: Pedro Almodóvar y travailla pendant ses études. Elle a pour mission de cambrioler le coffre-fort de la direction, pour le compte d'un flic-plus-que-véreux. Mais tout part en vrille, lorsqu'elle tombe nez à nez avec son premier amour.
«Ya no tengo miedo» («Je n'ai plus peur»)
La série séduit d'abord pour son audace. Le personnage principal -incarnée par Blanca Suarez- est, appelons un chat un chat, une délinquante. Pickpocket, entrée par effraction, usurpation d'identité et manipulation: Alba incarne une version féminine d'Arsène Lupin, poudrée et culottée. Les créateurs de la série ont posé leurs regards contemporains sur cette fiction des années 20. Un anachronisme qu'y se savoure et s'entend. Las Chicas del Cable est étrangement bercée par des chansons de pop anglaise. Une bande son contrastée, qui n'est pas sans rappeler celle de Gatsby le Magnifique de Bar Luhrmann. La série lui chipe également certaines prises de vue -aériennes. Dans ses excès comme dans ses nuances, la mise en scène sait faire preuve d'audace, comme lors d'une -très- jolie scène de sexe aquatique. Las Chicas del Cable ne serait rien sans son esthétique des années folles, impeccable. La mode y est politique. On se pare de rouge à lèvre, comme pour revendiquer sa liberté. Et puis, il y a l'uniforme des opératrices de la Compagnie, mains de l'ombre que la série s'attache à mettre en lumière. Le monde de l'entreprise est, une fois n'est pas coutume, féminin. Téléphonistes ou secrétaires, elles mènent les grèves et mènent le monde. L'incursion au sein de la Compagnie Nationale des Téléphones est sans doute l'aspect le plus intéressant de cette production espagnole qui s'amuse de l'objet téléphonique et de ses évolutions. Alors qu'une invention révolutionnaire menace l'emploi des opératrices, l'idylle naissante entre deux protagonistes se crée..au bout du fil.
On l'aura compris, il y a de l'amour dans Las Chicas del Cable. Hétéro, à plusieurs ou encore lesbien. Madrid, quelques années plus tard, sera le berceau de la Movida, mouvement libertaire. La série s'amuse à transgresser les codes de la représentation des genres. Ici, les hommes pleurent et les femmes se battent. Carlota, l'insoumise, fugue du domicile familiale. Marga -un des meilleurs personnages de la série, affronte ses peurs et prend de l'assurance. Angeles fait face à un mari violent. Alba, « fille de la rue », prend quant à elle, le train de l’ascenseur social et grimpe dans la hiérarchie de l'entreprise. Les personnages féminins se taillent la part du lion, face aux hommes, moins charismatiques. Elles se battent en meute, pour leurs droits et leurs vies. Ces différentes luttes entrent malheureusement, terriblement, en résonance avec l'actualité de ces derniers mois. La série porte en elle un discours sur la pauvreté féminine et sur l'indépendance financière, illustré par Alba, forcée à voler pour survivre et par Angeles, qui gagne sa liberté par le travail.
Plus bluette que tract syndicaliste
On s'arrêtera là pour le côté fibre social. La série est rapidement plombée par un triangle amoureux sans surprise, sans saveur et bancal: Francisco vs Carlos (avec une nette préférence pour ce dernier). Pour l'oeil affuté du spectateur, habitué aux chefs-d'oeuvre que sont The Wire ou Happy Valley, la production Netflix ne se situe pas dans l'air du temps. Las Chicas del Cable souffre cruellement d'un manque de subtilité. Un problème de narrativité d'autant plus flagrant que l'intrigue, mélodramatique à souhait, enchaine rebondissements et galères à vitesse grand V, sans laisser place à l'interprétation ou le flou. Tout ici est livré clefs en main à grand renfort de flashback et dialogues peu crédibles. Le plaidoyer féministe suinte à chaque phrases et donne sérieusement l'impression que les dialoguistes ont essayé de fourrer toutes les revendications politiques possible.
Las Chicas del Cable vise les sommets du drama en 16 épisodes difficiles à ingurgiter. Avec l'humour d'un Downton Abbey ...mais l'aspect foutraque des Feux de l'amour. L’imprévisibilité de l'action et l'interminable triangle amoureux créent rapidement fatigue et exaspération. La bluette sentimentale prend peu à peu le pas sur les autres intrigues. De l'étage des opératrices au bureau de la direction, coupé des réalités. L'arrière plan historique de l'Espagne monarchique et le monde ouvrier sont totalement délaissés à partir de la saison 2 au profit d'une enquête policière. La série déchante et désenchante. Il y avait là l'occasion de dépeindre un monde qui s'écroule sous le poids des innovations, d'évoquer un pays à la vie politique tortueuse et torturée mais Las Chicas del Cable ne fait qu'effleurer ses thématiques sans y plonger réellement. Dommage.
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