MORTEL: L'onde française
- Méline E
- 29 déc. 2019
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 déc. 2019
Sortie sans un bruit, la nouvelle production française de Netflix ose le pari du récit de l’adolescence, saupoudré de vaudou et de surnaturel. Sans renier ses aînés, la série française impose son style: frais, sombre et ambitieux.

C’est toujours avec suspicion qu’on se tourne vers une production française. Ampoulées, bourgeoises et, disons le carrément, chiantes, les séries françaises –à quelques rares exceptions- sont rarement accueillies à bras ouverts. Mortel, apparue au catalogue Netflix fin novembre 2019, se présente comme un pied de nez aux idées reçues. Reprenant à son compte les codes narratifs des récits sur le passage de l’enfance au monde adulte, la série de six épisodes déroule son intrigue, mélange de réflexions sur l’amitié et pratique du vaudou par deux adolescents non-initiés.
Sofiane, joué par Carl Malapa, ne croit pas en la fugue de son grand-frère, disparu depuis quatre mois. Victor, interprété par Nemo Schiffman, est un gosse névrosé qui a tenté de mettre fin à ses jours. Les deux lycéens se rapprochent dans leur quête pour retrouver Reda, le frère de Sofiane, et suivent les ordres donnés par un dieu vaudou, après avoir pactisé avec lui. L’usage du fantastique est frénétiquement balancé par la mise en scène qui emprunte plus à un Kechiche qu’à un James Cameron. Gros plans et contre-plongées sur les visages des ados, le tout sans exotisme, sans étrangeté. Mortel embrasse la modernité sans arrière-pensée. Kebab, Capri-Sun et réseaux sociaux ne sont pas des accessoires agités au nom du style (même si la série n’en manque pas). La réappropriation des références contemporaines et populaires est un parti pris politique affirmant l’existence prédominante d’une culture française encore considérée comme subalterne.
Mortel puise sa mythologie dans celle du rap contemporain. Si Obé, le dieu vaudou, ressemble étrangement à Joey Starr, c’est le rappeur américain ASAP Rocky qui fut utilisé comme référence visuelle. Musicalement, la série Netflix fait la part belle aux musiques dites "urbaines" : un passage en revue de Slaï à Aya Nakamura, en passant par des choix plus pointus comme Josman. Filmée au Havre, Mortel est une production tournée dans des banlieues françaises (dortoir, résidentielle, rurale) sans être une série estampillé "de banlieue" dont émane toujours le même discours. De la puissance architecturale de la ville, la série puise des réflexions sur la solitude adolescente.
Contagion mentale
On songe beaucoup à la série britannique Misfits devant Mortel. Comme chez sa consœur, les ados semblent atteint d'un même mal qui se propage au lycée: dessins frénétiques, isolement, dépression. Le péril jeune, la fin de l'innocence, le passage au monde adulte. L'adolescence représente cette période sombre sur laquelle plane toujours une menace. C'est la mort qui rode après une soirée sur la plage comme dans Les dents de la mer. C'est également l’idée du sang contaminé et la menace du HIV. Dans Mortel, le sang est tout autant précieux qu'il est dangereux. La série joue sur cette ambiguïté et offre à ses acteurs et actrices des personnages complexes.
Après avoir pactisé avec le dieu Obé, Victor et Sofiane se voient dotés de pouvoirs surnaturels qui, s'ils les rapprochent, ont un effet de miroir grossissant. Victor préfère se concentrer sur les autres plutôt que sur ses propres traumas. Sofiane, dans sa quête désespérée, n'hésite pas à manipuler ses proches pour arriver à ses fins. Pourtant, à la fin, l'amitié l'emporte. L'entraide, la confiance, le lâcher prise sont les réels enjeux de l'intrigue. Et la sororité chez les filles.
Les personnages de Mélanie et Luisa tissent une amitié dans l'adversité quand cette dernière craint d'avoir été violée à une soirée. Manon Bresch donne corps à Luisa, partagée entre ses ambitions artistiques et le poids de l'héritage légué par sa grand-mère, qui pratique le vaudou. Mortel parle créole, féminisme et même afro-féminisme. Des thèmes dont on apprécie qu'ils soient enfin traités dans une série hexagonale, même en sous-texte. Une saison 2 espérée sera l'occasion d'explorer les dynamiques entre les personnages féminins, pour qu'ils se propagent au premier plan.
M.E
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